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5. Justice sociale et synodalité

Apports des théologiens et théologiennes pour le Synode 2023

Robert Alvarez & Jos Moons (KU Leuven)

Résumé

Dans son discours programmatique à l’occasion du 50e anniversaire du Synode des évêques, le pape François a souligné que l’écoute des pauvres est un élément clé d’une Église synodale : « écoute de Dieu jusqu’à entendre avec Lui le cri du peuple ; écoute du peuple jusqu’à y respirer la volonté à laquelle Dieu nous appelle ». Cette option pour les pauvres structure la conception de la synodalité de François et est explicitement développée dans la feuille de travail B 1.1 de l’Instrumentum laboris (sur les questions de la pauvreté, de notre maison commune, de la migration et de la polarisation politique).

Dans la littérature académique, la réflexion sur ces thèmes de la justice sociale et de la synodalité est limitée. Cependant, les contributions qui se concentrent explicitement sur ces sujets soulignent la pertinence fondamentale de l’option pour les pauvres pour la synodalité. Elles appliquent ensuite ce principe non seulement aux diverses questions en dehors de l’Église (ad extra), mais aussi à l’Église elle-même (ad intra). C’est pourquoi l’analyse détaillée est divisée en deux sections : premièrement, l’option pour les pauvres en tant que critère de synodalité ; deuxièmement, les questions clés de la justice sociale.

Analyse détaillée

Statistiques

• La justice sociale et la synodalité sont un vaste sujet. Les articles et les chapitres peuvent porter sur des sujets aussi variés que le genre, l’écologie, le néolibéralisme et la pauvreté. Il est donc difficile de se faire une idée de l’ampleur de sa réception dans le corpus. Le terme « pauvre » semble être le meilleur moyen d’en juger ; il apparaît dans 37% des sources (241/651).

1) L’option pour les pauvres comme critère de synodalité

• Selon Grieu et Trigo, on ne peut reconnaître la volonté de Dieu sans l’option pour les pauvres, qui est donc un critère de révélation et de synodalité. Grieu explique que l’Église n’est une communion que si elle s’adresse aux parties souffrantes du corps. Leur souffrance est à la fois l’appel de Dieu à l’Église et le critère par lequel l’Église est mesurée en tant que communion. Grieu élargit également la catégorie des pauvres pour y inclure ceux qui ne sont pas autorisés à s’exprimer, que ce soit par des conventions juridiques ou culturelles. Il soutient que tout processus synodal doit accorder une attention particulière à ces personnes exclues. (Voir aussi Trigo).
• Les préoccupations en matière de justice sociale ont un sens plus large que celui des « pauvres » et ne sont pas seulement pertinentes d’un point de vue pastoral en dehors de l’Église. Elles concernent également d’autres types d’exclusion et de marginalisation que la pauvreté. De plus, ces autres types d’exclusion et de marginalisation peuvent se produire à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église. Silber et Gruber (2020) discutent tous deux de la nature stratifiée de l’activité pastorale de l’Église, remettant en question les catégories simplistes de l’Église ad extra et ad intra tout en insistant sur le critère de l’option pour les pauvres dans les deux cas. Les questions intra-ecclésiales telles que viri probati (Gruber 2020) et l’inculturation (Odinet) sont également mesurées à l’aune de cette option pour les marginalisés.
• L’option pour les pauvres est liée à la conversion. Défendu par le pape François, le concept de conversion pastorale s’enracine dans la réception ecclésiologique du peuple de Dieu en Amérique latine après Vatican II (Luciani, également Costadoat). Comme l’indique Grieu, la structure d’appel et de réponse de la révélation implique l’acte de conversion, qui implique nécessairement la réconciliation. Silber s’appuie sur ce concept de réconciliation et explique comment, pour être véritablement synodale et missionnaire, l’Église doit s’attaquer aux injustices ad intra et ad extra.

2) Questions clés de la justice sociale

• Silber et Faye abordent tous deux les questions de genre au sein de l’Église. Pour Silber, la capacité de l’Église à lutter contre la discrimination à l’égard des femmes au sein de l’Église est un test pour la crédibilité de la synodalité. (Pour un traitement plus approfondi, voir l’Apport sur la participation des femmes.)
• Hinze aborde la question des abus sexuels sur mineurs commis par le clergé catholique, abus qui sont rendus possibles par la structure de l’Église. Ce faisant, il propose de compléter la synodalité par une justice réparatrice afin de promouvoir la guérison des victimes. Il explore également la manière dont l’Église pourrait s’occuper des jeunes catholiques mécontents qui ont quitté l’Église parce qu’ils ne la considèrent plus comme un témoin crédible de l’Évangile.
• Pastwa propose un traitement approfondi de la migration. Reconnaissant que la migration n’est pas seulement une question temporaire mais un phénomène structurel de la société, Pastwa suit le principe du ius sequitur vitam (la loi suit la vie) pour soutenir que la synodalité offre à la fois l’impératif éthique et les ressources pratiques pour répondre à la crise des migrants.
• Miller examine la manière dont la société structure également l’Église, en particulier la manière dont les valeurs coloniales et néolibérales en sont venues à dominer les relations entre catholiques. Il fait le lien avec la « culture du tout-jetable » dénoncée par le pape François et insiste sur le fait que la synodalité devrait être considérée comme un moyen de témoigner de relations correctes au sein de l’Église, relations qui rayonnent ensuite vers l’extérieur, offrant un exemple à la société. (Voir l’Apport sur l’inculturation.)
• Gruber (2020) s’inquiète du fait que la culture catholique moderne considère la dissidence comme un événement « extraordinaire » plutôt que comme un élément constitutif de l’Église. Elle affirme d’autre part que les personnes marginalisées n’auront voix au chapitre que si une théologie de la dissidence est autorisée au sein de la synodalité.
• Enfin, Gruber (2022) et Miller analysent tous deux la crise écologique à partir du thème de l’interconnexion écologique. En reliant ces concepts, ils cherchent à rompre avec l’héritage européen de l’extraction et de l’exploitation coloniales, en ouvrant l’Église à des cultures extérieures à son héritage européen, dont elle a à apprendre.

Matériel : Principales lectures recommandées

Costadoat, Jorge, “Conversión pastoral a los signos de los tiempos,” dans Reforma de estructuras y conversión de mentalidades. Retos y desafíos para una Iglesia Sinodal, édité par Rafael Luciani et Carlos Federico Schickendantz (Madrid: Khaf, 2020), 145-171.

Faye, Anne Béatrice, “La sinodalidad en femenino: nuevos espacios de discernimiento y de colaboración en la Iglesia,” dans Sinodalidad y reforma. Un desafío eclesial, édité par Rafael Luciani, Serena Noceti et Carlos Schickendantz (Madrid: PPC, 2022), 203-227.

Grieu, Étienne, “Les plus pauvres au cœur de l’Église?,” dans Les derniers seront les premiers. La parole des pauvres au cœur de la synodalité, édité par François Odinet (Paris: Éditions de l’Emmanuel, 2022), 32-50.

Gruber, Judith, “Consensus or Dissensus?: Exploring the Theological Role of Conflict in a Synodal Church,” Louvain Studies 43 (2020): 239-259.

———, “Die Amazonien-Synode in der Rezeption der Weltkirche. Ökologische Dimensionen – postkoloniale Perspektiven – ekklesiologische Konsequenzen,” dans Laboratorium Weltkirche, édité par Judith Gruber et d’autres (Freiburg im Breisgrau: Herder, 2022), 253-262.

Hinze, Bradford E., “Can We Find A Way Together?: The Challenge of Synodality in a Wounded and Wounding Church,” Irish Theological Quarterly 85 (2020): 215-229.

Luciani, Rafael, “Reforma, conversión pastoral y sinodalidad. Un nuevo modo eclesial de proceder,” dans En camino hacia una iglesia sinodal. De Pablo VI a Francisco, édité par Rafael Luciani et Teresa Compte (Madrid: PPC, 2020), 165-188.

Miller, Vincent J., Synodality and the Sacramental Mission of the Church: The Struggle for Communion in a World Divided by Colonialism and Neoliberal Globalization,” Theological Studies 83 (2022): 8-24.

Odinet, François, “Synodalité et inculturation,” Nouvelle Revue Théologique 144 (2022): 232-246.

Pastwa, Andrzej, “‘Accompanying Migrants’ as a Touchstone of the Realisation of the Synodal Church Idea: A Canonist’s Remarks,” Ecumeny and Law 9 (2021): 7-40.

Silber, Stefan, “Synodalität als ekklesiologisches Prinzip ad intra und ad extra: Lernen von der Bischofssynode für Amazonien,” Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft 105 (2021): 34-47.

Trigo, Pedro, “Sinodalidad con el pueblo,” dans La sinodalidad en la vida de la Iglesia: Reflexiones para contribuir a la reforma eclesial, édité par Rafael Luciani et María del Pilar Silveira (Madrid: San Pablo, 2020), 213-242.

Références italiennes

Giacomo Canobbio (ed.), Libertà di parola e sinodalità. Tra diritto e responsabilità (Rome: AVE, 2017).

Ugo Sartorio, Sinodalità tra democrazia e populismo. Oltre ogni clericalismo (Padova: Messaggero, 2022).