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6. Inculturation et synodalité

Apports des théologiens et théologiennes pour le Synode 2023

Robert Alvarez & Jos Moons (KU Leuven)

Résumé

Les documents officiels mentionnent rarement l’inculturation. Par exemple, le Document de travail pour l’étape continentale mentionne l’inculturation deux fois (n° 54, 92), et l’Instrumentum Laboris trois fois (n° 60, Introduction, B 2.1).

Dans la littérature académique également, le sujet n’est pas souvent mentionné, avec 16 documents qui discutent du sujet de manière plus ou moins approfondie. Ces articles et chapitres établissent un lien entre les caractéristiques clés de la synodalité, telles que la rencontre et l’écoute, et l’inculturation.

Trois interprétations de l’inculturation se dégagent. 1) D’un point de vue théologique, Dieu s’est incarné dans une culture humaine spécifique, ce qui fournit un modèle théologique pour notre inculturation dans de (nouvelles) cultures. 2) Dans une perspective missionnaire, l’inculturation signifie une attitude synodale d’ouverture et de communion avec « l’autre », avec une volonté d’adaptation. 3) Dans un sens ecclésial plus général, marcher ensemble sur un chemin synodal implique une « saine décentralisation » afin de permettre des expressions inculturées et décoloniales de la catholicité dans des Églises particulières.

Analyse détaillée

Statistiques

• Le mot « incult* » apparaît 718 fois. Bien que 25% des documents (160 sur 651) fassent référence à l’inculturation, la plupart de ces documents (85%) ont 5 références ou moins. Il y a 16 documents avec plus de 10 références au terme.
• La plupart des 16 contributions les plus importantes (dont la plupart sont traitées ci-dessous) ont été écrites par des auteurs qui travaillent en Amérique latine, qui viennent d’Amérique latine ou qui traitent de thèmes latino-américains (Borras, Galli, Luciani, Martínez-Saavedra, Noceti, Weiler).

1) Fondements théologiques de l’inculturation

• L’incarnation de Jésus-Christ et l’inculturation de l’Église primitive dans son contexte gréco-romain constituent un modèle pour l’inculturation moderne (Galli, Martínez-Saavedra). Le Concile Vatican II l’a reconnu en soulignant la nécessité « d’adapter l’Évangile » pour permettre à l’Église d’atteindre son objectif missionnaire (Gaudium et Spes 44) (Luciani 2020b).
• Martínez-Saavedra compare la Tour de Babel et la Pentecôte et suggère que l’unité perdue à la Tour de Babel n’est pas retrouvée par un retour à l’uniformité, mais plutôt par la diversité des langues expérimentée à la Pentecôte.

2) Critères d’inculturation

• Les rencontres missionnaires exigent une attitude d’ouverture et impliquent une transformation mutuelle. Cette ouverture s’enracine dans l’expérience chrétienne de la miséricorde de Dieu et permet à l’Église d’approcher « l’autre » hors de l’Église à partir d’une position d’humilité (Eckholt).
• À partir de cette humilité, l’évangélisation ne consiste pas seulement à « apporter l’Évangile » à l’autre, mais avant tout à « marcher selon l’Évangile » avec l’autre (Odinet). Plutôt qu’une acculturation unilatérale d’une culture vers l’Évangile – qui implique une relation inégale – l’inculturation devrait être l’incarnation de l’Évangile à partir d’une culture (Martínez-Saavedra, cf. Luciani et Weiler).
• Suivant la doctrine de l’option pour les pauvres, une inculturation réussie est marquée par l’épanouissement des pauvres (Odinet). Les femmes sont également un test décisif pour l’inculturation, car leur exclusion des structures ecclésiales empêche l’Église de s’identifier à la société moderne et empêche la proclamation de l’Évangile dans une perspective féminine (Heller, Weiler également).
• L’inculturation est une exigence de l’Eglise, même dans les contextes catholiques majoritaires ; l’inculturation ne s’arrête jamais (Eckholt).

3) Inculturation, décentralisation et décolonisation

• Un thème clé — et une tension — est la relation entre l’autorité des Églises locales et l’Église universelle. Eckholt soutient qu’il doit y avoir une saine autorisation de pluralité au sein de l’Église pour permettre à l’inculturation — et donc à l’évangélisation — de fonctionner (Eckholt). Une grande partie de la littérature concernant l’inculturation se réfère au récent Synode sur l’Amazonie (Galli, Martínez-Saavedra, Luciani 2020a, Luciani 2020b, Noceti, Weiler). Selon Luciani, le Synode sur l’Amazonie apparaît comme un excellent exemple de l’attention portée aux défis d’une Église particulière et de la tentative de développer une relation plus dynamique au sein de la hiérarchie ecclésiastique (cf. les autres auteurs).
• Certains auteurs opposent l’inculturation à l’héritage colonial et au néocolonialisme sous la forme d’une absolutisation de la culture occidentale (Luciani 2020ab, Noceti, avec quelques développements dans Weiler). Par exemple, Luciani note que la synodalité requiert une « conversion culturelle qui propose des processus d’inculturation décoloniale » (Luciani 2020a) et Weiler témoigne que les indigènes vivant en Amazonie ne se sentent pas chez eux dans l’Église, mais se sentent des invités.

Matériel : Principales lectures recommandées

Borras, Alphonse, “La Conférence ecclésiale de l’Amazonie: une institution synodale inédite,” Ephemerides Theologicae Lovanienses 97 (2021): 223-292, https://doi.org/10.2143/etl.97.2.3289258.

Eckholt, Margit, “Pluralität, Synodalität und Barmherzigkeit: eine fundamentaltheologische Reflexion in interkultureller Perspektive,” dans Apologie und Glaubensrechenschaft zwischen Konfrontation und Korrelation. Überlegungen zur Struktur gegenwärtiger Fundamentaltheologie, édité par Bernd Elmar Koziel (Echt: Echter Verlag, 2017), 203-227.

Galli, Carlos M., “Constitución de la Conferencia Eclesial de la Amazonía. Fundamentos históricos, teológicos, culturales y pastorales,” Medellín. Teología y pastoral para América Latina y el Caribe 46 (2020): 517-542.

Heller, Karin, “‘Steht oder fällt’ die weltweite Synodale Kirche mit der Frauenfrage?,” dans Synodalisierung. Eine Zerreißprobe für die katholische Weltkirche? Expertinnen und Experten aus aller Welt beziehen Stellung, édité Paul Zulehner et autres (Ostfildern: Grünewald, 2022), 177-190.

Luciani, Rafael, “‘Querida Amazonia.’ La emergencia de una hermenéutica genético-inductiva y la inculturación teológico-cultural de la doctrina,” Razón y Fe 282 (2020): 41-55.

———, “Reconfigurar la identidad y la estructura eclesial a la luz de las Iglesias locales. ‘Querida Amazonia’ y el estatuto teológico de las realidades socioculturales,” Medellín. Teología y pastoral para América Latina y el Caribe 46 (2020): 487-515.

Martínez-Saavedra, Luis, “Nouveaux chemins pour l’inculturation de l’Évangile,” Zeitschrift für Missionswissenschaft und Religionswissenschaft 105 (2021): 60-73.

Noceti, Serena, “El sínodo para la Amazonía y la reflexión sobre los ministerios que «hacen Iglesia»,” dans La sinodalidad en la vida de la Iglesia: Reflexiones para contribuir a la reforma eclesial, édité par Rafael Luciani et María del Pilar Silveira (Madrid: San Pablo, 2020), 343-373.

Odinet, François, “Synodalité et inculturation,” Nouvelle Revue Théologique 144 (2022): 232-246.

Weiler, Birgit, “Synodalität kultivieren: im Leben und Struktur der Kirche von Amazonien wie der Weltkirche,” dans Laboratorium Weltkirche. Die Amazonien-Synode und ihre Potenziale, édité par Judith Gruber et autres (Freiburg im Breisgrau: Herder, 2022), 49-65.